Jeemeo & la Lyonnaise des eaux

Entretien réalisé en décembre 2011 par la société Marketor auprès de Frédéric Charles, Corporate IS Strategy and Governance, Lyonnaise des Eaux 

Votre société, Lyonnaise des Eaux, compte parmi les plus actives dans la mise en place de plateformes communautaires et l’animation sociale d’écosystèmes. Pourtant, votre activité d’opérateur d’eau[1], très règlementée[2], et la typologie de votre clientèle (les collectivités locales) ne vous prédestinaient pas à occuper le haut du pavé en matière de Social CRM…

Je ne sais pas si nous occupons le haut du pavé, mais contrairement à ce que vous supposez, tout nous pousse à faire preuve d’initiative dans ce domaine. Pour commencer, vous parlez de clientèle mais il faut distinguer les collectivités locales, avec qui nous passons un contrat de prestation ou de délégation de services publics, nos clients qui sont les particuliers et les entreprises ou les industriels à qui nous facturons notre service, et enfin les consommateurs de l’eau que nous délivrons dans un foyer. Pour chaque client facturé, il peut y avoir trois  consommateurs… Cette distinction est essentielle, car si Lyonnaise des Eaux a une relation étroite et dense avec 2 600 collectivités, jusqu’à ces dernières années elle n’avait qu’un contact ponctuel avec ses 4 millions de clients, et un contact très indirect – voire pas de contact du tout – avec les 8 autres millions de consommateurs, lesquels apparaissent très peu dans nos systèmes alors qu’ils sont concernés par la qualité de l’eau, par exemple, au même titre que les autres. Deuxièmement, notre stratégie s’exprime depuis plusieurs années au travers de l’engagement sociétal[3]. Je parle ici de stratégie d’entreprise. Ce qui se traduit par le fait que notre priorité est d’aller au-delà de nos clients traditionnels, et d’établir une relation plus dense avec tous les consommateurs.

Vous utilisez les réseaux sociaux pour développer ce lien ?

Il serait plus juste de dire que ce sont les consommateurs qui utilisent les réseaux sociaux pour développer ce lien avec nous ! Ce n’est d’ailleurs pas seulement vrai pour Lyonnaise des Eaux. Même dans nos métiers, des demandes et des réclamations qui nous concernent, apparaissent sur Facebook et Twitter. La question est seulement de savoir si vous préférez :

a) vous boucher les oreilles

b) réagir a posteriori

c) prévenir et développer une relation de confiance.

Heureusement, il existe des outils comme JeeMeo pour écouter les conversations, puis engager le dialogue avec les insatisfaits, mais aussi les satisfaits ambassadeurs de l’entreprise qui sont prêts à la mettre en valeur.

En quoi les dispositifs traditionnels comme les sites web ne vous semblent pas adaptés pour supporter ce nouveau mode conversationnel ?

Parce qu’à l’origine, ils ne sont pas conçus pour l’interactivité – sans même parler des « cathédrales numériques 100% flash » chéries par les agences de com, invisibles des moteurs de recherche et inappropriées pour actualiser du contenu. En vérité, le Social CRM nous oblige à repenser nos sites internet, parce que les consommateurs veulent avoir le même niveau d’ouverture et de transparence sur nos sites que sur les réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux doivent être considérés comme une extension du SI

N’est-il pas préférable de maintenir une posture institutionnelle, corporate, aux sites web, de façon à distinguer leur rôle des espaces conversationnels que sont les réseaux sociaux ?

La relation actionnaires de Lyonnaise des Eaux (non cotée) passe par son groupe Suez Environnement qui a un site corporate très complet. Donc vu de ma perspective de construction du système d’information de Lyonnaise des Eaux, la priorité est clairement sur les dispositifs de dialogue citoyen. Ce dialogue est inscrit en profondeur dans sa stratégie. Il se décline sur tous les supports de l’entreprise. Et à l’inverse, pour un internaute, site web ou media social ne sont que des supports pour répondre à un besoin croissant d’interaction avec les marques. C’est pourquoi toutes nos initiatives sont citoyennes, interactives et portées sur le web.  La dernière qui a eu lieu le 21 novembre dernier au terme de deux années
de concertation avec les acteurs de l’eau à consister à présenter sur le site web contratpourlasantedeleau.fr un document de référence autour de trois piliers : mieux gouverner l’eau pour mieux la protéger, innover pour la santé de l’eau et en mesurer l’efficacité, promouvoir une économie vertueuse et concertée de l’eau… incluant une charte de gouvernance qui est un contrat d’engagement citoyen.

On pourrait dire que le social, au sens du Social CRM, renforce le sociétal ?

Absolument, d’ailleurs JeeMeo est complètement intégré aux systèmes supportant le sociétal interne. De fait, une première initiative « idées neuves sur l’eau », qui a entre autres produit la matière pour le contrat pour la santé de l’eau, avait son propre site sur le web. A la fin de cette consultation la question s’est alors posée de maintenir ce site, devenu coûteux car moins utile. Cependant on souhaitait capitaliser sur le formidable travail qui avait été réalisé, les conférences, les débats, les efforts de communication aussi… Et il nous semblait naturel de préserver ce lien fort que nous avions tissé avec les consommateurs. D’où l’idée, début 2011, de migrer ce site sur une page Facebook et d’être prêt à poursuivre le dialogue « chez eux » puisqu’on utilise une plateforme grand public et non notre propre site web.

Dans la décision d’internaliser l’écoute et l’engagement, de s’appuyer sur un outil industriel, c’est-à-dire un logiciel capable de gérer des processus et du volume, il y a deux éléments déterminants. Le premier, c’est le constat que j’ai évoqué au début de l’interview : les consommateurs viennent d’eux-mêmes à nous, il faut choisir entre ne rien faire et subir ou anticiper, et dans notre position, étant donné notre stratégie, l’anticipation est le meilleur choix. Le second, c’est la conviction que les réseaux sociaux doivent être considérés, bon gré mal gré, comme une extension du système d’information de l’entreprise. Qu’est-ce qu’un réseau social, sinon de l’information qui circule en dehors de processus établis ? Qui est le mieux à même d’outiller cette circulation d’information dans l’entreprise, sinon la DSI ? Il y a donc, dans cette décision, l’idée de s’approprier les outils de la relation sociale pour s’assurer que l’information ne sera pas perdue et qu’on saura la traiter en interne. Ce qu’aucune agence de communication ne peut assumer seule. D’ailleurs quand une agence vous quitte, elle ne vous laisse… pas grand-chose! En utilisant un outil comme JeeMeo, qui peut gérer un forum sur une plateforme qui nous appartienne, l’entreprise reste le propriétaire des échanges, des profils… dans les limites fixées par les consommateurs eux-mêmes.

Le ROI du Social CRM s’inscrit dans une logique de réduction des coûts

Allez-vous faire migrer d’autres sites vers la plateforme ?

Je suis convaincu que nous allons de plus en plus nous appuyer sur des plateformes publiques et moins sur des sites que nous construisons entièrement. Depuis plusieurs années, nous entretenons une communauté de goûteurs d’eau. Ce sont des clients bénévoles qui ont été formés pour remonter leur avis. L’ancien site web, goutdeleau.com, va prochainement basculer (techniquement) sur ce type de plateforme. D’ici à 2013, nous aurons réintégré plusieurs portails dans l’infrastructure JeeMeo, dans un mouvement de refonte en douceur de la présence internet Lyonnaise des Eaux. Il était auparavant statique, il devient dynamique autour de l’ensemble des transactions sociales élémentaires dont les métiers ont besoin pour engager la relation avec leurs communautés externes: animer un forum, publier sur une page web, échanger avec un profil, donner un avis de consommateur. De sorte que nous développons les fondamentaux qui sont de mieux connaître et davantage discuter avec nos consommateurs. 

Même si votre stratégie sociale s’inscrit pleinement dans votre stratégie d’entreprise, on peut imaginer qu’il vous est demandé de justifier des investissements en temps et en budgets investis dans la plateforme. Comment en mesurez-vous les résultats ?

Une partie des métriques portent sur l’amplification de la relation, notamment auprès des consommateurs non-clients. Le ROI doit également valider une agilité en cas de crise, notre capacité de réaction en cas d’attaque sur les réseaux sociaux. 50 fans de plus sur Facebook ne signifie pas grand-chose. En revanche, le nombre d’ambassadeurs est un KPI qui m’intéresse. Cette réflexion est cependant devant nous car les volumes sont pour l’instant modestes dans nos métiers.

Quel est le lien entre les informations que vous remontez du Social CRM et les collectivités locales ?

Le social CRM dans nos métiers s’inscrit totalement dans les démarches citoyennes mises en place par les collectivités locales qui ont favorisé l’implication et la participation des citoyens dans la vie de la cité. Nos propres échanges intéressent certainement ces collectivités surtout quand la perception des citoyens peut trouver sa réponse dans des actions que nous pouvons aider la collectivité à mettre en place.

Et concernant le ROI ?

S’agissant de ROI, et s’il faut parler chiffres, je me situe d’abord dans une perspective de réduction des coûts. Un site web coûte 30 à 40 k€, une page Facebook dix fois moins. Avant, les réseaux n’existaient pas ou n’avaient ni la puissance fonctionnelle ni le poids qu’ils ont aujourd’hui. Maintenant, c’est possible, alors il faut en profiter.

Ensuite, et toujours en matière de cost killing, nous pouvons diminuer certains budgets comme des prestations d’agences de type veille sur les réseaux sociaux, qui se facturent quand même 2 500 à 4 000 € par mois, puisque c’est justement la finalité de nos plateformes avec en plus la capacité à engager le dialogue en temps réel et pas uniquement en faire des statistiques mensuelles.

Les agences ne doivent pas apprécier…

On peut même dire qu’elles constituent un frein potentiel à toute la démarche car le social CRM va au-delà de leur modèle souvent axé sur l’image et le  « one way » et moins sur l’interaction et la mesure. Certaines utilisent certainement leur influence auprès de la direction pour imposer leur vision des choses mais avec le temps cela finira par se voir et elles devront s’y mettre en adoptant les outils de l’entreprise que nous construisons et ne plus toujours chercher à imposer les leurs (et leurs sous-traitants).

Le réseau social d’entreprise, préambule au Social CRM ?

D’ailleurs, j’ai évoqué le ROI de la plateforme, parce que son fonctionnement a été validé et qu’elle est pleinement opérationnelle. Sur le plan organisationnel, en revanche, on est encore en phase de pilote pour mieux comprendre les attentes des consommateurs (phase d’observation) et le dispositif le plus adapté pour y répondre (qui valide quelle action, et qui la réalise dans quel timing, et via quel support ?). Ce n’est pas tout de se préoccuper des informations qui circulent à l’extérieur, il faut aussi se demander ce qu’on va en faire à l’intérieur. Il faut, en quelque sorte, inventer la vie qui va avec le phénomène social. D’où le projet web innovant que nous avons déposé avec JeeMeo et PlayApp et qui a été retenu par le Ministère de l’Economie, qui va nous permettre d’évaluer, dans le domaine social, les besoins en processus organisationnels des grandes entreprises et pour JeeMeo d’adapter sa plateforme pour y répondre. D’évaluer, mais aussi de recommander, en vue de franchir un cap de maturité. Ce qui nous ramène à la problématique de la mobilisation des experts en interne, et à la question du réseau social interne, qui est clairement consubstantielle de la présence sociale. Autrement dit, si une entreprise se lance dans l’animation sociale sans avoir structuré un réseau social d’entreprise, elle risque d’être incapable de traiter l’afflux de demandes.

A moins que ce ne soit l’écosystème lui-même qui réponde aux demandes ?

C’est possible dans une certaine mesure, mais in fine les sujets à plus forte valeur ajoutée sont des sujets d’expertise qui demandent l’intervention d’un spécialiste interne. Comme, notamment, tout ce qui touche à la facturation ou à la qualité de l’eau. C’est d’ailleurs parce que nous avions mis en place un RSE (lio.plaza), et qu’on s’était rendu compte qu’on avait une expertise à faire valoir, que Lyonnaise des Eaux a pu avancer dans l’aventure communautaire. Malgré cela, il reste beaucoup de choses à inventer.

Précisément, quelles vont être selon vous les grandes tendances sur 2012 ?

Un des sujets à suivre, qui va se rapprocher du Social CRM, c’est celui de l’open data, c’est-à-dire l’ouverture des données des organisations – notamment dans le champ des collectivités locales – au grand public. C’est la perspective de la réappropriation, par les citoyens, de leurs données. Demain, il sera possible que le citoyen participe plus intimement, via par exemple des associations, à l’usage des ressources publiques, comme l’eau qu’il abordera pas les données libérées. C’est un débat essentiel, dont nous nous sentons proches et que nous voulons accompagner.

Les 5 points à retenir :

  1. « Le Social CRM nous oblige à repenser nos sites internet, parce que les consommateurs veulent avoir le même niveau d’ouverture et de transparence sur nos sites que sur les réseaux sociaux. »
  2. « Les consommateurs viennent d’eux-mêmes à nous, il faut choisir entre ne rien faire et subir ou anticiper »
  3. « Les réseaux sociaux doivent être considérés, bon gré mal gré, comme une extension du système d’information de l’entreprise »
  4. « Une partie de mes métriques portent sur l’amplification de la relation, notamment auprès des consommateurs non-clients. Le ROI doit également valider une agilité en cas de crise »
  5. « Ce n’est pas tout de se préoccuper des informations qui circulent à l’extérieur, il faut aussi se demander ce qu’on va en faire à l’intérieur »
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[1] La Lyonnaise des Eaux assure la production et la fourniture de l’eau potable aux collectivités locales et aux Industriels. Elle se charge également de la collecte et de la dépollution des eaux usées. Son offre comprend également des prestations de services comme la surveillance des eaux de baignade, la gestion du patrimoine (canalisations, pompages, usines…) ou la gestion des eaux pluviales. (Source : Wikipedia)

[2] Les services d’eau et d’assainissement font partie des services publics les plus contrôlés. Depuis la loi du 8 février 1995, la gestion des services d’eau et d’assainissement fait l’objet de comptes-rendus annuels et financiers contrôlés par les cours régionales des comptes. De plus, chaque année le maire doit présenter un rapport sur le prix et la qualité des services d’eau et d’assainissement à son conseil municipal. Ce rapport est public. (Ibid.)

[3] Au-delà de ce que la législation publique lui impose, Lyonnaise des Eaux applique depuis 2006 un certain nombre de principes structurants : « les 12 engagements pour une gestion durable de l’eau ». La Lyonnaise des Eaux a fait évaluer cette politique par un organisme indépendant : Vigeo. (Ibid.)

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